Édito
Irremplaçabilité, subst. fém. Caractère de ce qui est irremplaçable.
Qui ne peut être échangé, substitué à autre chose.
« C'est le plus grand hommage qu'on ait rendu
à l'irremplaçabilité de l'artiste. » (Goncourt, Journal, 1866, p. 261).
− [ir(r) ɑ ̃plasabilite]. − 1reattest. 1866 id.; de irremplaçable, suff. -(i)té*.
Chères spectatrices, chers spectateurs, chères amies, chers amis,
Dans le contexte inédit que nous traversons, c’est un plaisir au goût insoupçonné de vous dévoiler cette nouvelle saison. Nous avons appris à nous manquer.
Un mot - « présence » - (à ne pas confondre avec « présentiel », antonyme de ce néologisme - « distanciel » - avec lequel il nous a bien fallu faire connaissance) va enfin recouvrer tout son sens, son inestimabilité, son irremplaçabilité.
Si tant est que nous en doutions, nous savons désormais que rien, jamais, ne remplacera le silence à l’unisson qui se fait dans la salle lorsque la lumière bascule vers la scène, ni celui, suspendu, avant le crépitement des applaudissements, ni les discussions passionnées au bar.
Rien ne remplacera ce qui se bouscule, ce qui nous échappe, ce qui s’élabore en nous et entre nous, lorsque nous sommes ensemble.
Cette nouvelle saison sera, à plusieurs égards, hors norme.
Répondre à la crise sans précédent que traverse notre profession en ouvrant grand les portes, en accueillant d’avantage de spectacles, d’avantage d’artistes en résidence : telle est l’ambition que nous nous sommes donnée.
Pendant ce mois de septembre, pour soutenir les artistes de Bourgogne-Franche-Comté, nous vous convions, grâce au concours du Ministère de la culture, à un festival d’ouverture… car cette année, la Guinguette contre-attaque ! Dans un cadre convivial, aux abords du théâtre, vous pouvez voir des spectacles de théâtre de rue et des spectacles jeune public, écouter des concerts, découvrir de nouvelles écritures dramatiques. Vous pouvez aussi profiter enfin de deux titres que nous avons pu reporter : La Méduse démocratique et le bien nommé On voudrait revivre… !!!
Hors norme, cette saison le sera également par le respect des règles sanitaires auxquelles nous veillerons avec attention, au fur et à mesure des consignes qui nous seront données, afin de vous permettre d’assister aux spectacles en toute sécurité. Face aux incertitudes liées au contexte, nous avons décidé de suspendre cette saison notre politique d’abonnements, et préféré à la brochure de saison un journal trimestriel qui nous permettra d’être plus réactifs et précis sur l’ensemble des rendez-vous qui vous seront proposés. Mais c’est bien néanmoins l’ensemble de la saison qui est dès à présent ouverte à la billetterie ! Vous pouvez donc d’ores et déjà acheter vos billets pour tous les spectacles de votre choix !
Plus que jamais, nous aurons besoin de vous. De votre présence, de votre soutien. Nous avons été très touchés, pendant ces mois de fermeture, par vos messages d’amitié et vos manifestations de solidarité. Grâce au grand nombre d’appels que nous avons reçus à travers les rendez-vous téléphoniques Des Papillons dans le pavillon, nous savions que vous étiez là, attentifs, impatients. Nous vous attendons, nous vous espérons !
Hors norme, cette saison l’est enfin et surtout, par sa richesse, sa densité (17 titres ! 3 créations dans les murs ! 5 co-productions ! 2 festivals ! Un spectacle en appartement ! Une petite forme gratuite dans les lycées !), ainsi que par la singularité et le talent des artistes qui la composent.
Vous découvrirez cet automne deux spectacles de David Geselson, metteur en scène, auteur, acteur, qui mène depuis plusieurs années une œuvre aussi personnelle que politique, aussi grave que ludique. Lettres non-écrites est un spectacle en perpétuelle évolution, dont les spectateurs sont les co-auteurs. Vous avez toujours rêvé d’écrire une lettre à quelqu’un sans jamais passer à l’acte ? C’est le moment ! Vous en confiez la substance à David, il l’écrit pour vous, et le soir même, vous entendez portée au plateau la communauté de nos désirs, chagrins et amours. Pour Le Silence et la peur, sa dernière création, il a réuni une équipe franco-américaine pour conter la vie de Nina Simone, sa lumière, ses blessures, ses origines multiples, la soif de justice de celle qui deviendra une des grandes voix afro-américaines dans la lutte pour les droits civiques. Un spectacle magnifiquement incarné, au cœur de notre présent encore hanté par cette « cicatrice qui ne guérit pas et par où parlent les morts ».
Donner à voir deux aspects d’une même compagnie est un projet qui nous tenait à cœur depuis longtemps. C’est ainsi que vous pourrez apprécier cet automne l’incroyable richesse de la célèbre Compagnie néerlandaise tg STAN, à travers deux spectacles aussi complémentaires que les faces opposées d’une même pièce. Recréant en français l’un de leurs plus grands succès, ils renouent dans Poquelin II avec le génie de Molière, faisant leur miel de son goût pour la satire féroce et la comédie la plus débridée ; alors que dans Après la répétition, ils se saisissent du huis clos d’Ingmar Bergman avec une infinie délicatesse, une complicité désarmante de trouble et de séduction. Un bijou!
Cet automne sera aussi l’occasion de découvrir l’une des pièces les plus fascinantes de Marie NDiaye, mise en scène par Jacques Vincey et portée par un remarquable trio d’actrices. Dans Les Serpents, Marie NDiaye tisse, de sa voix unique dans le paysage littéraire contemporain, une œuvre forte, entre fait divers, thriller psychologique et conte mythologique, toute de sensations et de non-dits.
Les deux prochains numéros du journal seront consacrés aux spectacles de l’hiver et du printemps, mais sachez que vous trouverez dès à présent, sous forme de cartes postales et sur le site, une présentation détaillée de chaque titre de la saison.
En voici d’ores et déjà un aperçu : la création sous toutes ses formes y sera plus que jamais à l’honneur ! Antoine et Cléopâtre, de William Shakespeare, grande fresque amoureuse et politique naviguant entre Orient et Occident, portée par treize comédiennes et comédiens, sera, en janvier, la grande création maison. Toute l’équipe du CDN et moi-même sommes déjà au travail ! Vous découvrirez aussi cinq magnifiques comédiennes haïtiennes dans l’un des chefs-d’œuvre de Jean-Luc Lagarce, J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, mis en scène par François Berreur ; Normalito, une fable malicieuse pour tous les âges, proposée par Pauline Sales ; un Voyage en Ataxie complètement chavirant, auto-fiction grave et clownesque signée Gilles Ostrowsky ; une jeune metteure en scène, Lisa Guez, dont le remarquable spectacle Les Femmes de Barbe-Bleue a été récemment distingué du prix du jury et du prix des lycéens du festival Impatience ; un festival consacré à la richesse de la création suisse contemporaine ; ainsi que Outside (co-accueilli avec les 2 scènes), le dernier spectacle de Kirill Serebrennikov, l’un des artistes russes les plus libres et audacieux de sa génération, aujourd’hui en résidence surveillée à Moscou.
Autant d’événements, rares, précieux, d’occasions de nous raconter le monde, de retrouver la joie pure de la création, l’élan vital qui nous a tant manqué !
« Qu’il vienne, qu’il vienne,
Le temps dont on s’éprenne. » (Arthur Rimbaud)
24 août 2020, Célie Pauthe et toute l’équipe du CDN.